Des vies oubliées sous le soleil brûlant.

Avec Le diable dans la peau, Paul Howarth nous invite à un voyage dans l'Australie du 19e siècle.

En 1885 dans le Queensland, Billy et Tonny, 2 adolescents, partent chercher du gibier alors que le pays étouffe sous une vague de chaleur. À leur retour, ils trouvent leurs parents et leur petite sœur massacrés. Si Billy soupçonne d'emblée un aborigène employé de la ferme, Tommy est plus sceptique. Les 2 frères vont pourtant suivre le grand propriétaire terrien local et l'inquiétant chef de la police aborigène pour s'embarquer dans une chasse à l'homme. Ce voyage va les obliger à grandir et il hantera à tout jamais Tommy.

Le roman est un récit d'initiation, un road-movie au cœur d'une nature âpre aux paysages grandioses. Mais c'est surtout l'histoire de Tomy, un adolescent sensible, pétri d'humanité, à l'écoute de la nature et des hommes qui y ont toujours vécu. On découvre un pays et une époque où le sort des aborigènes n'a rien à envier à celui des indiens d'Amérique. Les hommes et la nature sont implacables et personne n'a droit à l'erreur. Au cœur de cette noirceur, l'humanité de Tommy est un espoir, il illumine le roman de sa présence et de sa bienveillance. Et le pays à beau être implacable, sa beauté n'en demeure pas moins éclatante.

Un premier roman très abouti, servi par une écriture simple mais efficace qui fait de ce western australien une belle découverte.

L'adieu au père.

Dans un livre des plus personnels, Manifesto, Léonor de Recondo, nous touche en évoquant la mémoire et les derniers instants de son père. Avec sa plume sensible et délicate, elle nous offre un récit sincère et lumineux.

Léonor rejoint en pleine nuit sa mère, au chevet de son père, Félix de Recondo, qui vit ses derniers instants à l’hôpital. Durant toute une nuit de veille, elles l’accompagnent dans ce passage entre la vie et la mort. Tout en évoquant sa douleur, de beaux souvenirs d’enfance avec ce père artiste font surface. Parallèlement, elle invente un dialogue imaginaire entre son père et d'Ernest Hemingway où les deux hommes se racontent chacun à leur tour. L’occasion de parler de la jeunesse de Félix, de l’Espagne, de la guerre civile, de l'exil, de l'amour, d’évoquer les fantômes qui peuplent sa vie et de son amour pour l’art.

C’est beau. C’est une succession de pages d’amour et de douceur empreintes de poésie qui rendent un bien bel hommage à son père.

Sublime saga familiale romanesque.

À travers le récit d’une relation entre deux personnages issus de milieux trop différents, La Saison des fleurs de flamme, le premier roman de l’écrivain nigérian Abubakar Adam Ibrahim décrit une société nigériane pleine de tabous et écartelée entre archaïsme et modernité.

 

« Hajiya Binta Zubaïru naquit à cinquante-cinq ans, le jour où un voyou aux lèvres sombres et aux cheveux hérissés pareils à de minuscules fourmilières escalada sa clôture et atterrit, bottes aux pieds et tout le reste, dans le marasme de son cœur. »
La saison des fleurs de flamme qui se déroule au Nigeria, est une histoire d'amour passionnante entre Binta, la soixantaine, et Reza, un jeune dealer qui taquine la morale et la norme…

Dans cette magnifique saga, tous les personnages, même secondaires, sont importants. C'est une peinture très réaliste de la société nigérienne contemporaine avec ses corruptions, son terrorisme, sa pauvreté…et particulièrement vivante.
Lecture passionnante pour découvrir ce pays attirant avec ses couleurs, ses odeurs et ses musiques si particulières…

Juste un peu d'espoir.

La plus précieuse des marchandises, un petit texte sur le ton de la fable signé Jean-Claude Grumberg pour évoquer une tragédie de notre Histoire.

Dans un bois vivait un couple de bûcherons très pauvres et malheureusement sans enfants. À l'orée de la forêt, un train passe chaque jour. La bûcheronne espère qu’une chose extraordinaire viendra de ce train, un paquet, de la nourriture.
Un père, ayant compris où les emmenait ce convoi, décide de se séparer de l’une de ses filles et de déposer le bébé sur la neige, pour la sauver. Son autre enfant mourra par la suite dans un camp. Et c’est la bûcheronne qui ramassera ce don tombé du ciel. À la fin de la guerre, notre héros se met à la recherche de sa fille…

Avec des mots simples et sans violence, le contraste avec la réalité est encore plus saisissant. L’auteur nous fait comprendre petit à petit l’inimaginable. Le suspense est permanent et c’est magnifiquement écrit. La structure narrative du conte, son intrigue rendent le livre accessible à tous. Quelle habileté ce livre !

Casablanca, loin des dépliants touristiques...

En suivant les pas d'un migrant sans papier, In Koli Jean Bofane signe avec La belle de Casa, un roman teinté d'humour aux faux airs de polar au cœur de Casablanca, pour épingler les travers de la société marocaine.

Roulé par un passeur, Sese, un jeune congolais débrouillard et charmeur, a échoué à Casablanca par hasard. Depuis, il se débrouille pour vivre en faisant des petits boulots et des trafics. C'est un brouteur : très bon comédien, il séduit, via internet des femmes occidentales esseulées, et parvient à leur soutirer de l'argent. Il propose à Ichrak, une superbe Marocaine, de faire comme lui avec des hommes. Elle accepte. Ils deviennent amis. Elle est assassinée. Les suspects sont nombreux...

Plus qu'un policier, La belle de Casa est une comédie sociale. Bofane y brosse une peinture réaliste de Casa, de sa vie de misère, de tous ces migrants venus d'Afrique qui y vivent, du racisme latent, des magouilles politiques, policières, financières ou immobilières. Par son talent de conteur, à l'aide de phrases imagées et colorées où l'humour caustique pointe souvent son nez, il nous donne une image peu reluisante de cette société où l'argent, le sexe et le pouvoir règnent en maître.

Au cœur de la douleur.

Andrée Michaud, l'auteure de Bondrée qui l'a fait connaître en France, raconte avec Rivière tremblante deux trajectoires parallèles.

Petite fille, Marnie a vu Michaël, son copain de jeux, disparaître sans qu'il n'ait été retrouvé. Elle est marquée à tout jamais par cette absence. Des années plus tard, elle revient dans le village de son enfance, Rivière-aux-trembles, mais n'arrive pas à oublier ce cataclysme incompréhensible de son enfance. Et puis il y a Bill, écrivain pour la jeunesse dont la petite fille de 9 ans s'est volatilisée à la sortie de l'école. Il a vu sa vie et son couple exploser et ne sait comment combler le manque viscéral qui étouffe son existance. Il se décide finalement à quitter la ville pour venir se réfugier à Rivière-aux-trembles. Tous deux doivent vivre avec leur impossible deuil, mais aussi avec la culpabilité qu'ils ressentent et celle que la société leur fait porter.

Sur un thème très proche de Bondrée, Andrée Michaud nous happe dès les premières pages : grâce à son écriture poétique, délicate et lumineuse, elle réussit à nous faire supporter les épreuves et la douleur omniprésente chez ses deux personnages à l’existence broyée. En suivant tour à tour Marnie et Bill, l'auteure réussit à faire monter l'intensité du récit jusqu'à un suspense quasi-insoutenable.


Un grand roman dont on ne ressort pas indemne, un texte qui approche au plus près la douleur de la perte et l'impossible deuil.

L’emprisonnement, la liberté.


Trois fois la fin du monde, un récit de Sophie Divry en trois parties, où le personnage principal, Joseph, se retrouve successivement enfermé puis libre. Mais que représentent ces notions lorsqu’on est prisonnier de soi-même ?

Dans une histoire concise et bien maîtrisée, Sophie Divry, propose une introspection sur notre condition d’humain avec un réalisme trois fois renouvelé. D’abord, avec la vie en milieu carcéral, puis, suite à une explosion nucléaire, la liberté d’organiser sa survie « naturellement » dans une zone « contaminée » inhabitée, et enfin la quête vers ses semblables.


Tout au long de l’histoire, c’est la réflexion sur la solitude, souhaitée, subie ou vécue qui conditionne les choix du héros.

Récit historique d’une héroïne fascinante.
Aliénor d’Aquitaine, l'héroïne de La Révolte, fait l’objet d’une fiction captivante. Basée sur des faits historiques, c’est à travers les yeux d’un de ses fils, Richard Cœur de Lion, que Clara Dupond-Monod, déroule ce récit puissant.

Mariée jeune à Louis VII, aucun enfant naîtra de cette 1ère union, elle épouse ensuite Henri II Plantagenêt, mariage qui verra naître 3 filles et 5 garçons. Le célèbre couple et leurs enfants, vont régner sur une partie de l’Europe au cours du moyen-âge, exerçant le pouvoir à tour de rôle, partant en croisade...

Dynastie malmenée par des parents conquérants, personnages fougueux et intelligents,ce récit où l’amour, la haine, l’admiration, la trahison, la vengeance, le pardon, le complot, nourrissent toutes les convoitises, jusqu’à s’entre-tuer... est passionnant et terriblement humain.

Le dernier repas ?
Hitler, qui craignait toujours d’être empoisonné, enrôla des femmes pour goûter ses plats. Pour écrire La goûteuse d'Hitler, l'auteure italienne Rosella Postorino s’est inspirée d’une histoire vraie, celle de Margot Wölk qui fut la seule survivante des quinze goûteuses du Führer.

Après le départ de son mari sur le front russe, Rosa quitte Berlin et son appartement bombardé pour aller vivre dans la ferme de ses beaux-parents, en Prusse Orientale. Des SS viennent la chercher pour rejoindre le groupe des goûteuses des repas d'Hitler, ainsi que 14 autres jeunes femmes prises au hasard dans le village proche du QG du Führer, la fameuse Tanière du Loup.

Ce roman donne chair à ces allemandes d'origines très différentes obligées à risquer leur vie à tout instant et nous fait découvrir leur peur de mourir à chaque bouchée, leur peur des SS, leur peur pour leur famille, l’ambiguïté de leur relation. Pleines du désir de sauver leur peau, elles vont se lier d'amitié, se haïr, se jalouser, se disputer, s'entraider. On a la peur au ventre à chaque bouchée de Rosa. Transparaît également dans ce récit, la fin du 3° Reich. 

La douleur des sentiments.

Ça raconte Sarah, un premier roman, plonge le lecteur dans une histoire d'amour absolue, obsessionnelle et destructive entre deux jeunes femmes, portée par le le style étourdissant de Pauline Delabroy-Allard.

La narratrice, Anna, est professeure dans un lycée et mère célibataire à la vie bien rangée. Sarah est violoniste professionnelle et toujours en tournée. Ces deux jeunes trentenaires se rencontrent un soir de réveillon. Un amour dévastateur les emporte. Elles se découvrent des sentiments jusqu’alors inconnus et intenses. Mais difficile de s’aimer entre deux avions, deux trains. Leur relation est faite de séparation, d'absence, de retrouvailles et se déroule dans l’urgence, l’excès, la folie. La vie avec Sarah devient vite épuisante mais impensable sans elle. Et puis, c'est le séisme et la fuite vers Trieste...

Construit en deux parties, ce premier roman, toujours en mouvement nous happe dès les premières lignes. C’est écrit à perdre haleine, avec de très belles envolées lyriques, sur le rythme d’un coup de foudre. Quel talent pour décrire avec autant d’exaltation et de justesse la fulgurance amoureuse !

A lire absolument.