Alep en guerre, la fuite des survivants, un sujet insoutenable, qui inonde l’actualité et dont on se détourne.

Christy Lefteri brosse dans L’Apiculteur d’Alep, un tableau pudique et bouleversant de l’exil, loin des statistiques et des analyses politiques. Elle s’inspire des survivants qu’elle a rencontrés dans des camps de réfugiés .

Nuri vivait à Alep avec son épouse Afra, son fils et ses abeilles. Et le bonheur explose avec les djihadistes. Le couple perd son garçon dans un attentat, tout est dévasté par les bombardements, Afra devient aveugle. Ils abandonnent tout, quittent leur pays pour l’Angleterre et on les suit sur ce chemin périlleux. On s’attache à ces personnages fragiles, en pleine tourmente, et à ceux qu’ils côtoient.

Un livre fort, bouleversant, servi par une écriture précise et sans fioriture. Beaucoup de sensibilité, d’émotion, mais sans pathos, se dégage de ce roman. C’est aussi un texte sur la renaissance puisqu’il faut apprendre à se reconstruire sur une terre d’accueil.

Un roman magnifique et tellement juste.

Six voix pour un crime.

Laila Lalami
plante le décor de son quatrième roman, Les autres américains, dans une petite ville de Californie où le propriétaire d'un diner a été renversé par un chauffard. Six narrateurs prennent la parole afin de raconter ce qu'il s'est passé.

Un soir de printemps, Driss Guerraoui, propriétaire du diner d’une petit ville de Californie est renversé par un automobiliste. Le chauffeur prend  la fuite. Accident ? Crime raciste ? De nombreuses hypothèses voient le jour portées par six narrateurs qui prennent la parole au fil des chapitres, éclairant au passage la personnalité de Driss.

Fuyant les émeutes de Casablanca ce philosophe de formation avait mis sa carrière en retrait pour s’installer avec sa famille et monter sa petite entreprise. Projetant sa réussite sociale sur ses filles, il entretenait avec Nora une relation privilégiée. Cette denière, de retour chez ses parents pour soutenir sa famille va se retrouver impliquée dans l'enquête. L'occasion pour elle de retrouver de vieilles connaissances, de renouer des liens, et révéler douloureusement au passage quelques secrets de famille.

Si l'auteur a choisi la forme du roman polyphonique, c'est moins par artifice narratif que par souci de laisser plusieurs points de vue s'exprimer : celui de ses filles, de sa veuve, de son voisin et rival, d'un sans papier, de deux policiers, d'un vétéran de la guerre d'Irak et de la policière noire américaine chargée de l'enquête. Tour à tour, chacun d'eux apporte des informations sur l'affaire et nous dévoile l'impact qu'elle a eu sur eux. La petite ville devient le théâtre de tensions larvées jusques là. Un roman sur l'immigration contemporaine et l'identité, aussi captivant que profond.

Un très grand amour, et une immersion dans l'histoire récente de l'archipel des Chagos. 


Rivage de la colère, de Caroline Laurent, raconte l'histoire d'un amour qui surgit puis s'installe entre Marie, native de l'île de Diego Garcia et Gabriel, un Mauricien qui travaille au service de l'administrateur local.

A l'époque de leur rencontre, les Chagos font encore partie de la colonie britannique de Maurice. Peu après et en même temps qu'il accorde à Maurice son indépendance, le gouvermement britannique négocie pour des raisons stratégiques le détachement des Chagos. S'ensuit la déportation des populations autochtones. Les conséquences de cette déportation pour Marie, Gabriel, la famille et le couple qu'ils forment sont le sujet principal du roman.

Basé sur des faits historiques, ce roman rend compte de manière remarquable de l'injustice et de la tragédie subie par les protagonistes ; il évoque tout aussi remarquablement la beauté de l'île, du mode de vie de ses habitants. Bien sûr la violence - sociale, militaire et politique - dévaste tout... Mais pas complètement puisqu'au final quelque chose subsiste de l'histoire d'amour et de ses conséquences.

Dans La soustraction des possibles de Joseph Incardona, la morale est reléguée au second plan, tous les coups sont permis, personne n'est épargné !

À Genève,en 1989, Svetlana, une jeune financière prometteuse, rencontre Aldo, un prof de tennis vaguement gigolo. Ils s’aiment mais veulent plus. Plus d’argent, plus de pouvoir, plus de reconnaissance. Leur chance, ce pourrait être ces fortunes en transit. Ils pensent qu’il suffit d’être assez malin pour se servir. Mais en amour comme en argent, il y a toujours plus avide et plus féroce que soi.

De la Suisse au Mexique, en passant par la Corse, Joseph Incardona brosse une fresque ambitieuse, à la mécanique aussi brillante que implacable. Le style est riche, l'écriture recherchée, les personnages fouillés. Vaste comédie humaine tout à la fois roman noir et grand roman d'amour. Allez y ! C'est bon.

 Avis de Caroline, Thouars : Fin des années 80, la toute nouvelle puissance de l'argent. Aldo et Svetlana, de milieux modestes, s'aiment et veulent croquer dans les dollars. Ápleine vie ou à pleine mort ? Un récit haletant sous forme de polar, une écriture caustique, fluide et affutée. Á lire absolument, pour tous les lecteurs qui veulent de l'action et des personnages hauts en couleurs !

Dans la gueule de l'ours, premier roman magistral de John McLaughlin entre nature Writing et polar.

Criminel en cavale, Rice Moore trouve refuge dans une réserve des Appalaches, au fin fond de la Virginie. Employé comme garde forestier, il cherche à se faire oublier du puissant cartel de drogues mexicain qu’il a trahi.

Mais la découverte de la carcasse d’un ours abattu vient chambouler son quotidien : s’agit-il d’un acte isolé ou d’un braconnage organisé ? L’affaire prend une tout autre tournure quand de nouveaux ours sont retrouvés morts.
Rice décide alors de mener l’enquête et de mettre au point un plan pour piéger les coupables. Un plan qui risque bien d’exposer son passé.

Au-delà d’une intrigue qui vous hantera longtemps, l’auteur se confronte à des questions essentielles : comment la nature et l’homme se transforment-ils mutuellement ? Quelle est la part d’animalité en chaque être humain ? Un retour à la vie sauvage est-il possible pour l’homme occidental ? C'est bien, très très bien !

Road-movie et petits bonheurs.


Dans Tout le bleu du ciel, premier roman, Mélissa Da Costa nous raconte l'histoire d'une rencontre improbable entre deux personnes à qui la vie n'a pas fait de cadeau.

Emile, 26 ans, apprend qu’il est atteint d’un Alzheimer précoce et que sa vie risque d’être réduite à des essais cliniques. Ne voulant pas subir la compassion de ses proches et leur laisser l’image de son déclin, il décide secrètement de tout quitter pour l’expédition qu’il a toujours voulu faire : sac à dos et camping-car. Mais il n’est pas possible pour lui de partir seul. Il passe une petite annonce pour rechercher le ou la compagnon(ne) de ce dernier voyage. Malgré ses doutes, quelques jours plus tard, Joanne est au rendez-vous à la sortie de l’autoroute ! Au début, peu de mots entre eux, elle est une énigme pour lui ! Mais la confiance s’installe, il sait qu’il peut compter sur elle. Ils se découvrent au fil des jours et cette rencontre improbable leur fait vivre des moments inespérés.

Les sujets graves de ce roman sont traités avec beaucoup de finesse tout au long de ces 800 pages. C’est d’une grande tristesse mais les personnages sont attachants et lumineux, pleins de sagesse et de lucidité dans les épreuves qu’ils ont vécues ou qu’ils vont vivre.

Renaître de ses cendres.

Murène, 13ème roman publié par Valentine Goby, est l'histoire du combat d'une vie, avec des difficultés insurmontables mais plein d'espoir.

François, 22 ans, est un jeune homme qui aime la vie. Il vient de rencontrer Nine et il est amoureux. Mais en ce jour de l'hiver 56, son destin bascule. Un grave accident le conduit à l’hôpital pendant plusieurs mois. Á sa sortie, il n'est plus le même, son corps n'est plus le même, ses souvenirs les plus proches ont disparu. Il doit tout réapprendre. Que faire de cette vie, sombrer, ou essayer de se battre pour l'impossible ? Comment affronter le regard des autres ? Comment faire ce que l'on ne peut plus faire ? Un jour, accompagné de sa sœur Sylvia, il découvre dans un aquarium une Murène. Impressionné par sa laideur, François l'observe et semble plonger avec elle dans ce monde du silence. Il rêve de nager, il aime cette sensation de l'eau sur son corps. Poussé par ce désir, il rejoint l'Amicale sportive des mutilés de France. Malgré sa différence, cette expérience est sa résurrection. Il partage, aide les autres et lutte pour le développement du handisport, mal vu au début des années 1960. En 1964, les premiers jeux paralympiques voient le jour, il n'y participe pas mais il a gagné son combat, retrouvé le goût de vivre et l'amour pour Muguette !

Comme toujours Valentine Goby rend son personnage principal très attachant. Ce roman est très bien documenté sur la chirurgie en pleine évolution et l'appareillage qui, dans les années 50, en est à ses balbutiements. On y découvre aussi le dur combat pour faire reconnaître et accepter le handisport. On ne peut pas oublier cette histoire émouvante qui nous ouvre les yeux sur le handicap.

Valentine Goby parle de son roman

Un voyage surnaturel et poétique.

Premier roman de l'auteur australien Robbie Arnott, Flammes a pour fil conducteur le projet d'un jeune homme, obnubilé par la construction d'un cercueil pour sa soeur. Comme les femmes de la famille ont tendance à réapparaître après leur mort, il imagine avec ce cercueil mettre fin à cette "tradition" familiale.

 L'histoire entrelace de manière très fluide les destins et conduites de personnages humains et surnaturels, et nous fait voyager aussi bien dans l'espace que dans le champ des possibles. C'est poétique, plein de fantaisie, très original... Une belle littérature !

Avis de Brigitte, Secondigny : Un conte fantastique, un périple échevelé dans la nature luxuriante de la Tasmanie, un thriller écologique, un roman inclassable ? Mais un roman mené avec humour, tambour battant, à décloisonner le réel et l'imaginaire. Un livre sur la quête d'identité et du sens de la vie.

Deux pères, deux pays, deux passés.

Après l’étonnant Taqawan, Eric Plamondon entremêle l’histoire intime d’Oyana et l’histoire politique du peuple basque.
Un magnifique roman sur l'engagement, le déracinement, l’identité mais aussi sur les illusions et leur perte.

Oyana vit depuis vingt-trois ans à Montréal sous une fausse identité. En mai 2018, apprenant la dissolution officielle de l’ETA, elle décide de rentrer dans son pays natal, au Pays basque, de quitter son compagnon et de lui révéler dans des lettres, ce qu’elle lui a toujours caché. Elle a vécu au Pays basque français jusqu'à ce qu'elle apprenne qu’elle est la fille d'un activiste décédé et qu’elle soit contrainte de s'exiler après avoir été impliquée dans une opération commando meurtrière de l’ETA. Elle lui demande, non d'excuser, mais de comprendre. Ce retour lui permettra peut-être, si ce n’est d’effacer, au moins d’estomper le mal qui a été fait.

Ce livre court, à l’écriture rapide et précise, mêle habilement un destin individuel et celui d’un peuple. Outre le récit de son émouvante héroïne, Eric Plamondon montre comment se forge un engagement, comment une cause dévie, s’enferme dans une impasse et devient injustifiable. Il met en lumière l’ambiguïté entre résistance et terrorisme, la légitimité ou non de la violence, le poids du remords et des dettes.

Les enfants de coeur, très beau conte de fée pour adultes de Heather O' Neill.

Montréal, hiver 1914. Recueillis et élevés par les revêches bonnes sœurs d’un hôpital-orphelinat, Rose et Pierrot sont deux enfants pas comme les autres. Lui se révèle un pianiste prodige, elle sait comme personne illuminer le visage des enfants tristes par ses pantomimes. Ils tombent bientôt amoureux, et se mettent à rêver ensemble d’un avenir lumineux, sous le chapiteau du cirque le plus spectaculaire que le monde ait jamais connu.

Les aventures de Rose et Pierrot se situent dans les bas fond de Montréal au moment de la grande dépression. Une histoire sociale qui aurait pu être sordide et pourtant voilà un très beau conte de fée pour adultes !

Le récit véridique et incroyable d’une famille qui décide d’héberger un jeune migrant afghan.

Emilie De Turckheim nous livre, avec délicatesse, le journal qu’elle a écrit presque au quotidien pendant l’année où sa famille a accueilli Reza, Le prince à la petite tasse, un jeune réfugié afghan.

Elle nous amène à vivre cette aventure humaine originale et à partager leur questionnement face à cette drôle de cohabitation. On perçoit toute la difficulté d’accueillir l’autre : quiproquos engendrés par les différences culturelles ou la barrière de la langue...

C’est joyeux et optimiste, on sent la rencontre possible, et avec simplicité : "Un jour, j’ai dit : Ils sont des milliers  à dormir dehors. Quelqu’un pourrait habiter chez nous, peut-être ? Et Fabrice a dit : Oui, il faudra juste acheter un lit. Et notre fils Marius a dit : Faudra apprendre sa langue avant qu’il arrive. Et son petit frère Noé a ajouté : Faudra surtout lui apprendre à jouer aux cartes, parce qu’on adore jouer aux cartes, nous !"

Cet éclairage totalement différent sur le thème de l’immigration est très poétique. L’émotion est palpable à chaque page, on ne peut plus lâcher ce texte plein de surprise et de sensibilité. Avec beaucoup de talent, Emilie De Turckheim sait nous rendre chaque instant du quotidien, « spécial » !