Cohabitation difficile...

Lewis Trondheim et Obion au dessin, imaginent quatre générations de femmes aux caractères bien trempés, grand-mère, mère, fille et petite-fille, obligées de cohabiter sous le même toi. 
Mamma Mia !, construit en une succession de gags d'une page, est un album tendre, rempli de bonne humeur et d'humour, qui s'adresse à toutes les générations !

Aurélie, qui vient de perdre son travail, emménage dans la maison de sa grand-mère Marie, une vieille dame un peu dépassée et à la vie, jusque-là, paisible, avec sa fille Emma qui n’a pas sa langue dans sa poche. Débarque alors Sophie, la mère d'Aurélie, une adulescente de 52 ans qui se laisse vivre et ne pense qu’à séduire son prochain amant. Leur cohabitation n'est pas de tout repos !

Quatre personnalités contraires, beaucoup d'incompréhensions, de quiproquos, pourtant ce sont bien l'amour et la tendresse qui unissent cette famille atypique. Avec pour toile de fond problèmes sociétaux actuels, Lewis Trondheim excelle dans la peinture des petits riens du quotidien et ses dialogues sont souvent savoureux et piquants. Le dessin d'Obion, très coloré, est au diapason : les personnages sont très expressifs et leurs mimiques renforcent l'humour.

Humour, autodérision, émotion, tendresse, un album qui fait du bien !

Voir une planche

Une belle leçon de vie.

Quand Ernest, englué dans un monde tristounet, rencontre Victoire, un concentré de gaieté et de fantaisie, sa vie s’illumine…
Avec ce premier essai en bande dessinée, Thomas Baas signe une très belle adaptation du roman éponyme de Susie Morgenstern. Lettres d’amour de 0 à10 ans, une bulle de tendresse et de bienveillance qui vous met du baume au cœur.

Ernest est un garçon solitaire de 10 ans, timide, sage, bon élève et bien élevé, qui ne sait rien sur l'histoire de ses parents. Sa mère est morte et son père a disparu. Son existence monotone, sans saveur, stricte et austère auprès de sa grand-mère en deuil depuis une éternité, est complètement chamboulée avec l’arrivée de Victoire. Victoire est son opposé. Pétillante, débordante d’énergie, dernière d’une fratrie de douze frères, elle souffle un vent de légèreté sur sa vie et l’aide à découvrir l’histoire de sa famille. L’amitié puis l’amour transforment leur quotidien.

Ce récit sensible plein d’optimisme et d’humour, emporte avec facilité petits et grands, dans une belle histoire d’amour et d’amitié, tant les personnages sont attachants et le propos émouvant. Et cette histoire en apparence toute simple se révèle finalement pleine de profondeur et de justesse.

Le trait de Baas qui évoque celui de Sempé, les couleurs pleines de douceur donnent un résultat très frais et respirent la bonne humeur.

Émotion, tendresse, poésie, cet album tout public fait du bien.

Voir une planche

Voyages immobiles.

Après Le loup des mersRiff Reb’s adapte un autre roman de Jack London, Le Vagabond des étoiles qui explore l’imaginaire d’un condamné à mort croupissant au fond d'un pénitencier américain.
Une très belle adaptation, d’une exceptionnelle force narrative et visuelle, à la fois dénonciation du système carcéral américain de l’époque et ode à la liberté et à l'imagination.

Pour avoir assassiné un de ses collègues, Darell Standing, ingénieur agronome, est condamné à la prison à vie. Il est envoyé au pénitencier de Saint-Quentin dans la baie de San-Francisco. Pour supporter les tortures de ses geôliers et oublier la douleur, il parvient, grâce à une technique d’auto-hypnose, à s’évader par la pensée dans son passé, dans le temps et l’espace. Ainsi il voyage à travers les siècles, s’invente des mondes et des personnages, devenant viking, soldat romain…

Accentué par un trait noir proche de la gravure, l’ambiance graphique aux couleurs sombres et aux jeux d’ombres bien étudiés, plonge le lecteur dans un univers inquiétant, accroît l’âpreté du monde carcéral et le sentiment oppressant du récit. Une ambiance envoûtante et belle, oscillant entre réalité et fantastique, rendant un bel hommage à l'imaginaire. 

Riff Reb’s réalise une adaptation fidèle et superbe de ce roman glaçant, finalement moderne, où les rêves, l'imagination, le pouvoir de l'esprit surpassent la violence, le humiliations, la torture.

 Un premier volet très prenant qui donne fortement envie de lire la suite...

Voir une planche

Le pouvoir et la liberté, fable animalière.

Dans Le château des animaux, le peuple, sous la domination d’un tyran sans pitié, cherche une solution non violente pour renverser le régime.
Xavier Dorison revisite La Ferme des animaux de George Orwell pour signer une grande fable politique aux thèmes très contemporains, superbement mis en images par Félix Delep qui signe ici sa première bande dessinée, avec un talent indéniable.

Dans une ferme depuis longtemps abandonnée par les hommes, sans que l'on sache pourquoi, les animaux livrés à eux-mêmes ont pris leur place, leurs règles, leurs lois et… leurs travers. Le président à vie Silvio, un monstrueux taureaux secondé par une milice de dogues, règne en maître. Il exploite ses sujets en les terrorisant, les contraignant à des travaux épuisants. Pas question de se rebeller, car la répression est sanglante. Miss Bangalore, une chatte, un lapin et un rat vont unir leurs forces pour tenter de renverser le pouvoir.

Premier tome d'une série prévue en quatre volumes, Le Château des animaux est une critique de société intemporelle, violente et picaresque. Tout en rendant hommage à l’œuvre de George Orwell, Dorisson la replace dans le contexte actuel. Avec une écriture et des dialogues ciselés, le récit est captivant, bien rythmé et bien construit.

Grâce aux ambiances de la coloriste Jessica Bodard et au dessin bouillonnant de vie de Félix Delep, l’immersion est totale. Le dessinateur parvient à donner du caractère à chacun de ses personnages qui sont plus vrais que nature. Leurs expressions et leurs mimiques ont un petit côté Disney qui les rendent terriblement attachants. Les animaux sont mignons, mais Le Château des Animaux n'est pas une bande dessinée pour enfants : le dessin est dur et réaliste.

Voir une planche

Qui cherche trouve.

L’inspecteur Émile Farges, dit le Trouveur, est capable de débusquer n’importe qui. Mais ce don va lui coûter bien cher...
Avec Un destin de Trouveur, Gess nous transporte dans le Paris de la fin du XIXe siècle, dans un récit picaresque dense, mâtiné de fantastique, façon super comics à la française.

Paris, 1898. Émile Farges peut localiser quiconque en jetant un caillou sur une carte. Il travaille pour la police qui utilise son don. Il met également son talent à la disposition des Sœurs de l’Ubiquité, des féministes anarchistes qui aident les femmes victimes des hommes. Pour le convaincre d’obtempérer à retrouver sa fille et son épouse enlevées, un chef de gang prend en otage sa femme, une des Sœurs de l'Ubiquité, et son enfant...

Sur fond de lutte des classes, ce récit épique rappelle les grands feuilletonistes du 19ème siècle. Le dessin colle admirablement au propos, les décors fourmillent de détails et les couleurs traduisent bien cette époque. Avec ses pages tâchées sur les bords, on a l'impression de lire un livre vieux de plus d'un siècle.

Un album envoûtant à l'univers complexe et intriguant qui se dévore !

Voir une planche

Parenthèse enchantée.

Cinq ans après son fauve d'or Come Prima, Alfred signe une nouvelle pépite, Senso, où il imagine un tête à tête sentimental entre deux âmes esseulées.
On se laisse entraîner avec bonheur dans des scènes baignées d’onirisme, durant une nuit italienne magique, teintée de sensualité et de douceur. Un album inattendu, cocasse, plein de charme.

Digne d’une comédie à l’italienne, l’album joue sans cesse sur le comique de situation. On suit cet anti-héros du quotidien, désœuvré et attachant, durant toute une nuit, une nuit pleine de rencontres, de saynètes drôles, intrigantes, et de remises en question. Une ambiance particulière parcourt l’histoire. On plonge hors du temps, dans un magnifique parc labyrinthique où l’on aimerait s’y perdre, voir, écouter, prendre le temps, respirer la nuit, tant l’album invite à la contemplation et à la mélancolie.

Les planches sont extrêmement sensitives et foisonnantes. Le dessin prend souvent toute la place pour nous plonger dans ses magnifiques et envoûtants décors.

Une belle BD, romantique à souhait.

Voir une planche

Que léguerons-nous à nos enfants ?

Ugo Bienvenu
imagine un monde où la mémoire numérique sature et où la culture disparait par manque de place.
Succédant à Moi ce que j'aime c'est les monstres, Préférence système, dystopie réaliste aux résonances actuelles qui fait froid dans le dos, est sacré à son tour Grand Prix 2020 de l’ACBD.

Dans un futur proche, il est devenu impossible de stocker tous les datas produits quotidiennement par les humains. Pour remédier à ce problème, des agents sont chargés de supprimer ce qui n’est plus nécessaire, c’est-à-dire ce qui ne fait plus d’audience. L’agent Yves ne peut se résoudre à détruire certains livres, films, chansons ou poèmes, qu’il sauvegarde clandestinement pour les protéger de l’oubli. Il les stocke dans la mémoire de Mikki, son robot domestique.

Avec une esthétique rétro pop art, très froide, en parfaite adéquation avec l’histoire, Ugo Bienvenu réalise un album qui porte réflexion sur la mémoire et la transmission, tout en étant une ode à la création artistique et un thriller qui nous tient en haleine jusqu’à la fin. Quels critères peuvent définir ce qui doit être préservé ou détruit ? Que lègue-t-on aux générations futures ?
Captivant, inquiétant et pertinent, l’album provoque aussi l’émotion.

Voir une planche