No direction, no future, no hope.

Avec No direction, prix Fauve Polar 2020, Emmanuel Moynot nous offre un polar très noir, mettant en scène la cavale meurtrière de deux écorchés vifs, dans une Amérique crasseuse en pleine crise sociale et morale.

 

À la manière de Bonnie et Clyde, deux jeunes tueurs en série, Jeb et sa petite amie Bess, réunis par hasard, s’enfuient ensemble. Sur leurs traces, une femme flic aussi blasée que froide. S’ensuit une cavale sanglante, jonchée de cadavres, qui nous happe malgré nous.

 No direction est du pur roman noir, une histoire sans espoir, dense, tendue, bien rythmée et prenante. Avec des chapitres courts suivant tour à tour les différents personnages, sa construction à l’américaine colle parfaitement au récit. Chacun possède une teinte dominante qui privilégie les ambiances lourdes et glauques.

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Tragédie écologique.


Condamnée en 2011 à une amende de 9 milliards de dollars pour avoir pillé l'Amazonie équatorienne, la compagnie pétrolière américaine refuse toujours de payer.
Sophie Tardy-Joubert et Damien Roudeau racontent dans Texaco le combat de l’avocat Pablo Fajardo et d'un peuple qui réclame justice pour avoir vu sa terre et son peuple mourir.

Cette Bd-reportage nous fait découvrir les dégâts que la société Texaco (aujourd'hui Chevron) a fait en exploitant les sous-sols de Lago Agrio en Equateur, jusqu’en 1993. La multinationale a gagné énormément d’argent au détriment de la population locale. En partant elle a laissé les puits, les pipelines et un écosystème dévasté. Les nappes de pétrole sont encore visibles. L'empoisonnement des cours d'eau a entraîné la disparition des poissons et soumis le peuple à la misère, aux maladies, à la mort. Le récit est raconté par Pablo Fajardo dont la lutte fut accompagnée de pressions, d’intimidations, de procès qui s’éternisent, de magouilles politiques…Et grâce à d’ingénieuses magouilles, la multinationale n’a toujours pas payé son amende…

Le dessin au style reportage s’accompagne de couleurs chaleureuses mettant en lumière des paysages tantôt splendides, tantôt saccagés.

Un album prenant et poignant.

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Feelgood musical.

Forté retrace le parcours improbable d'une jeune fille des favelas brésiliennes qui se découvre une passion pour le piano et travaille sans relâche pour devenir concertiste.
Cet album, premier roman graphique de Manon Heugel, est un joli récit de passion et de travail acharné.

Dans les favelas de Belèm, au nord du Brésil, Flavia vit seule avec sa maman depuis la mort de son père tué lors d’une rixe entre deux gangs. Un vieil homme chez qui sa mère fait du ménage, lui fait découvrir le piano et Chopin. Elle gagne une bourse d'étude pour la prestigieuse l’Ecole Normale de Musique de Paris. Entre petits boulots, difficultés pour se loger, s'intégrer, et niveau très élevé de l'école, Flavia, mue par une farouche volonté de s'en sortir, surmonte tous les obstacles.

Le personnage de Flavia, traversée par des moments de joie et de doute, est très attachant. Accompagnée d'une mise en page aérée, douce, en pastels beige, ocre et vert d'eau, cette histoire qui met en avant la force de la volonté, celle qui permet d'atteindre ses rêves, est fraiche, positive et légère.

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Aldobrando au cœur pur.

Dans un Moyen-Âge imaginaire, les auteurs italiens Gipi, au scénario, et Critone, au dessin, nous content les aventures insolites et trépidantes d'un anti-héros candide nommé Aldobrando.
À mi-chemin entre le conte médiéval et le récit picaresque, cette bande-dessinée ado-adulte joue avec les codes, les rehausse, et fait passer un agréable moment de lecture.

Condamné à une mort certaine, un chevalier confie son fils à un vieux mage pour qu'il l'élève et en fasse un homme. Des années plus tard, son maître, gravement blessé, l’envoie à la recherche d'une plante rare qui peut lui sauver la vie. Peu dégourdi, Aldobrando qui n’a jamais été plus loin que la forêt où il vit, va affronter un monde brutal et violent. De rencontres en emprisonnement, il découvre l'envers du décor et grandit.

Aldobrando joue sur plusieurs registres. Tout en étant une quête initiatique, l'album répond aux codes du roman de chevalerie, de la satire virant à la farce, et du conte, parfois philosophique, parfois romantique, se terminant avec une morale. On se laisse agréablement happer par cette aventure très vivante, au scénario diablement ficelé et à la galerie de personnages picaresques savoureuse.

Le dessin de Luigi Critone participe à l'immersion dans ce monde médiéval, son trait fin, élégant et expressif, apporte une certaine douceur aux personnages, tout en glissant quelquefois une dose de caricature. Les superbes couleurs façon aquarelles de Francesco Daniele et Claudia Palescandolo, marquent chaque scène d'une atmosphère forte et chaleureuse.

Un récit initiatique touchant, rempli d'humanité, qui fait du bien.

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Éloge de la lenteur.

L'été, les vacances, l'adolescence, l'ennui... Par une multitude de détails, Jon Mc Naught fait ressurgir les souvenirs et l'ambiance particulière, comme suspendue, des longues journées de vacances estivales.
L'été à Kindom Fields est un joli voyage immobile, poétique et nostalgique.

Pour les vacances d'été, une mère célibataire a loué un bungalow dans un camping sur la côte anglaise à Kingdom Files, un lieu qu’elle a connu par le passé. Elle souhaite partager ses souvenirs d'enfance avec ses deux enfants. Si la plus jeune apprécie les promenades avec sa mère à la recherche de petits trésors, crabes et coquillages, c'est plus compliqué avec son fils ado qui préfère jouer à des jeux vidéos, jusqu'à sa rencontre avec un adolescent...

Avec peu de texte, quelques dialogues et sans récitatif, un rythme lent et des pages contemplatives, Jon Mc Naught magnifie les petits riens des vacances, la lenteur, l'abondance de moments fugaces, l'ennui palpable de ces longues journées d'été qui font écho à nos souvenirs de vacances en famille.

Tous ces moments d’une grande simplicité traversés par une mélancolie et une langueur propres à l'été, sont contés avec une force incroyable à l'aide de petites vignettes carrées, façon gaufrier, intercalées avec des cases panoramiques ou des pleine-pages contemplatives, un trait noir épais et des couleurs très douces, oscillant entre les bleus et les roses doux.

Un petit bijou simple, surprenant et beau.

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Découvrez un autre titre de cet auteur anglais : Automne

Le père d'Astérix sous les projecteurs de Catel.

Délaissant la biographie dessinée de femmes célèbres, Catel recueille les confidences d'Anne, la fille de Goscinny, afin de réaliser un portrait très vivant de cet homme d'exception.
Le roman des Goscinny, un roman graphique drôle, tendre et généreux, comme l'était Goscinny.

 

Avec l'aide complice d'Anne, Catrel raconte le destin, tant personnel que professionnel de René Goscinny : la jeunesse du garçon juif polonais qui, depuis tout petit, aime rire, faire rire les autres et adore dessiner, l'exil à Buenos Aires, les premières années de galère comme jeune dessinateur entre la France et les États-Unis et la naissance d'un artiste avant la consécration.
Le résultat est très vivant car Catel donne la parole alternativement à Anne et René. C'est aussi la naissance d'une véritable histoire d'amitié entre Anne et Catel.

Le dessin épuré, au trait tout en rondeur qui valorise le visage souriant et ouvert de Goscinny, dégage beaucoup de tendresse pour ses personnages. Le dessin est enrichi par des illustrations de Goscinny, souvent des inédits.

Un hommage sincère, plein de charme, à la fois instructif et très touchant.

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Orwell, l'homme et l'écrivain.

La ferme des animaux, 1984,... Georges Orwell est un auteur dont les écrits ont influencé les plus grands et résonnent encore dans notre actualité.
Pierre Christin
et Sébastien Verdier retracent dans Orwell, la vie complexe d'un écrivain atypique, visionnaire et précurseur.

On prend plaisir à découvrir derrière l'écrivain, l'homme, les épisodes de sa vie, les divers boulots et combats qui ont forgé sa personnalité : flic, journaliste, jardinier, romancier, combattant pour la République espagnole, socialiste, en lutte contre les dérives du système... Christin dresse le portrait d'un homme droit et sincère dont le parcours personnel a grandement influencé l’œuvre, et insère dans son récit des extraits de ses livres.

Le récit est très classique mais passionnant, tout comme le graphisme de Verdier au trait réaliste en noir et blanc. Son dessin est enrichi par des intrusions de grands dessinateurs, André Juillard, Olivier Balez, Manu Larcenet, Blutch, Juanjo Guarnido ou encore Enki Bilal, chacun illustrant d'une page un extrait d'un texte d'Orwell. 

Un bel hommage qui donne envie de se replonger dans l’œuvre de ce visionnaire.

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Cohabitation difficile...

Lewis Trondheim et Obion au dessin, imaginent quatre générations de femmes aux caractères bien trempés, grand-mère, mère, fille et petite-fille, obligées de cohabiter sous le même toi. 
Mamma Mia !, construit en une succession de gags d'une page, est un album tendre, rempli de bonne humeur et d'humour, qui s'adresse à toutes les générations !

Aurélie, qui vient de perdre son travail, emménage dans la maison de sa grand-mère Marie, une vieille dame un peu dépassée et à la vie, jusque-là, paisible, avec sa fille Emma qui n’a pas sa langue dans sa poche. Débarque alors Sophie, la mère d'Aurélie, une adulescente de 52 ans qui se laisse vivre et ne pense qu’à séduire son prochain amant. Leur cohabitation n'est pas de tout repos !

Quatre personnalités contraires, beaucoup d'incompréhensions, de quiproquos, pourtant ce sont bien l'amour et la tendresse qui unissent cette famille atypique. Avec pour toile de fond problèmes sociétaux actuels, Lewis Trondheim excelle dans la peinture des petits riens du quotidien et ses dialogues sont souvent savoureux et piquants. Le dessin d'Obion, très coloré, est au diapason : les personnages sont très expressifs et leurs mimiques renforcent l'humour.

Humour, autodérision, émotion, tendresse, un album qui fait du bien !

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Une belle leçon de vie.

Quand Ernest, englué dans un monde tristounet, rencontre Victoire, un concentré de gaieté et de fantaisie, sa vie s’illumine…
Avec ce premier essai en bande dessinée, Thomas Baas signe une très belle adaptation du roman éponyme de Susie Morgenstern. Lettres d’amour de 0 à10 ans, une bulle de tendresse et de bienveillance qui vous met du baume au cœur.

Ernest est un garçon solitaire de 10 ans, timide, sage, bon élève et bien élevé, qui ne sait rien sur l'histoire de ses parents. Sa mère est morte et son père a disparu. Son existence monotone, sans saveur, stricte et austère auprès de sa grand-mère en deuil depuis une éternité, est complètement chamboulée avec l’arrivée de Victoire. Victoire est son opposé. Pétillante, débordante d’énergie, dernière d’une fratrie de douze frères, elle souffle un vent de légèreté sur sa vie et l’aide à découvrir l’histoire de sa famille. L’amitié puis l’amour transforment leur quotidien.

Ce récit sensible plein d’optimisme et d’humour, emporte avec facilité petits et grands, dans une belle histoire d’amour et d’amitié, tant les personnages sont attachants et le propos émouvant. Et cette histoire en apparence toute simple se révèle finalement pleine de profondeur et de justesse.

Le trait de Baas qui évoque celui de Sempé, les couleurs pleines de douceur donnent un résultat très frais et respirent la bonne humeur.

Émotion, tendresse, poésie, cet album tout public fait du bien.

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Voyages immobiles.

Après Le loup des mersRiff Reb’s adapte un autre roman de Jack London, Le Vagabond des étoiles qui explore l’imaginaire d’un condamné à mort croupissant au fond d'un pénitencier américain.
Une très belle adaptation, d’une exceptionnelle force narrative et visuelle, à la fois dénonciation du système carcéral américain de l’époque et ode à la liberté et à l'imagination.

Pour avoir assassiné un de ses collègues, Darell Standing, ingénieur agronome, est condamné à la prison à vie. Il est envoyé au pénitencier de Saint-Quentin dans la baie de San-Francisco. Pour supporter les tortures de ses geôliers et oublier la douleur, il parvient, grâce à une technique d’auto-hypnose, à s’évader par la pensée dans son passé, dans le temps et l’espace. Ainsi il voyage à travers les siècles, s’invente des mondes et des personnages, devenant viking, soldat romain…

Accentué par un trait noir proche de la gravure, l’ambiance graphique aux couleurs sombres et aux jeux d’ombres bien étudiés, plonge le lecteur dans un univers inquiétant, accroît l’âpreté du monde carcéral et le sentiment oppressant du récit. Une ambiance envoûtante et belle, oscillant entre réalité et fantastique, rendant un bel hommage à l'imaginaire. 

Riff Reb’s réalise une adaptation fidèle et superbe de ce roman glaçant, finalement moderne, où les rêves, l'imagination, le pouvoir de l'esprit surpassent la violence, le humiliations, la torture.

 Un premier volet très prenant qui donne fortement envie de lire la suite...

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Le pouvoir et la liberté, fable animalière.

Dans Le château des animaux, le peuple, sous la domination d’un tyran sans pitié, cherche une solution non violente pour renverser le régime.
Xavier Dorison revisite La Ferme des animaux de George Orwell pour signer une grande fable politique aux thèmes très contemporains, superbement mis en images par Félix Delep qui signe ici sa première bande dessinée, avec un talent indéniable.

Dans une ferme depuis longtemps abandonnée par les hommes, sans que l'on sache pourquoi, les animaux livrés à eux-mêmes ont pris leur place, leurs règles, leurs lois et… leurs travers. Le président à vie Silvio, un monstrueux taureaux secondé par une milice de dogues, règne en maître. Il exploite ses sujets en les terrorisant, les contraignant à des travaux épuisants. Pas question de se rebeller, car la répression est sanglante. Miss Bangalore, une chatte, un lapin et un rat vont unir leurs forces pour tenter de renverser le pouvoir.

Premier tome d'une série prévue en quatre volumes, Le Château des animaux est une critique de société intemporelle, violente et picaresque. Tout en rendant hommage à l’œuvre de George Orwell, Dorisson la replace dans le contexte actuel. Avec une écriture et des dialogues ciselés, le récit est captivant, bien rythmé et bien construit.

Grâce aux ambiances de la coloriste Jessica Bodard et au dessin bouillonnant de vie de Félix Delep, l’immersion est totale. Le dessinateur parvient à donner du caractère à chacun de ses personnages qui sont plus vrais que nature. Leurs expressions et leurs mimiques ont un petit côté Disney qui les rendent terriblement attachants. Les animaux sont mignons, mais Le Château des Animaux n'est pas une bande dessinée pour enfants : le dessin est dur et réaliste.

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Qui cherche trouve.

L’inspecteur Émile Farges, dit le Trouveur, est capable de débusquer n’importe qui. Mais ce don va lui coûter bien cher...
Avec Un destin de Trouveur, Gess nous transporte dans le Paris de la fin du XIXe siècle, dans un récit picaresque dense, mâtiné de fantastique, façon super comics à la française.

Paris, 1898. Émile Farges peut localiser quiconque en jetant un caillou sur une carte. Il travaille pour la police qui utilise son don. Il met également son talent à la disposition des Sœurs de l’Ubiquité, des féministes anarchistes qui aident les femmes victimes des hommes. Pour le convaincre d’obtempérer à retrouver sa fille et son épouse enlevées, un chef de gang prend en otage sa femme, une des Sœurs de l'Ubiquité, et son enfant...

Sur fond de lutte des classes, ce récit épique rappelle les grands feuilletonistes du 19ème siècle. Le dessin colle admirablement au propos, les décors fourmillent de détails et les couleurs traduisent bien cette époque. Avec ses pages tâchées sur les bords, on a l'impression de lire un livre vieux de plus d'un siècle.

Un album envoûtant à l'univers complexe et intriguant qui se dévore !

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